La première lettre que j’ai reçu au bateau était une missive de mon ami Jean de Breyne. Il a pour habitude de m’écrire derrière des pages où sont imprimés ses poèmes, sûrement une façon de recycler le papier des exemplaires de relecture de ses manuscrits et d’en diffuser au gré de ses correspondances postales, intenses, tout un art de vivre avec le papier, les enveloppes, les timbres, les envois et les réceptions, tous les jours. Quand Jean m’a écrit cette première lettre, il n’avait encore aucune idée de la forme de mon nouvel habitat, il ne pouvait soupçonner que j’étais en hauteur… Et pourtant le poème qui était derrière la lettre, la première glissée dans ma boite je le répète, disait cela : « L’extension du paysage / Est dans l’improbable / Nous pouvons perdre le chemin / Et se retrouver là/ D’une horizontalité dans les sommets / Juste dessous le ciel / Juste avant le ciel / Qu’est-ce le ciel… » Debout, la tête touchant presque le plafond, les cartons emplissant encore l’espace, je vivais ce poème en le lisant… Je revoyais la route soudaine qui m’avait menée jusqu’ici, comment j’avais été délogée de mes montagnes, comment la roue de la fortune avait tourné si fort pour me faire arriver là – sous le ciel – comme n’importe où. Une seule larme comme un seul oiseau a traversé mon visage dégagé à ce moment ; émerveillée d’avoir encore la preuve que l’écriture poétique sait bien davantage que nous. Et intimement convaincue que même un peu bouleversée par les changements, l’essentiel était là. Dans ce seul horizon.
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Collage. Texte de Jean de Breyne, feuilles séchées, timbre de collection. |
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