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Articles

Affichage des articles du novembre, 2019

Vendredi 29 novembre 2019, midi.

On dit prendre la mer  mais qu'en est-il de prendre le ciel ?

Même jour, plus tard dans la nuit.

Juste avant le couloir où se trouve le phare, dans la pièce où je dors, j’ai accroché au mur un dessin carte postale en noir et blanc d’une allée circulaire avec des colonnes dans une crypte. Cela crée un effet d’optique pour l’imaginaire où pendant cinq secondes, on peut s’imaginer en prière dans les sous-sols d’une église tout en étant contre vents et marrées des profondeurs de la vie intérieure éclairé par les lumières colorées et éblouissantes du phare. Tout cela, grâce à une seule image – agissant comme un miroir agrandissant l’espace de la conscience. 

Mercredi 27 novembre 2019, nuit

De la nuit du 26 au 27 novembre, tempête de rêves sur le  Navire-night . Beaucoup de violence – une tentative d’étranglement - mais des êtres anonymes autours de moi pour me sauver. Il y a cette façon d’être tantôt « à l’intérieur » du rêve, tantôt « à l’extérieur ». Vers la fin de la nuit, j’étais témoin d’une amie voyant des roses rouges sous des plaques d’égout.  Et quand le réveil a sonné et que j’ai ouvert les yeux, une phrase était là, écrite. Pour être exacte, je dirais qu’il s’agissait davantage d’une parole comme une réplique de film de la part d’une voix off à la Duras, ou la parole d’un narrateur omniscient dans un roman. J’ai tout de suite noté dans mon Journal ce que je pouvais lire en moi avant que cela ne s’efface :  « Pour lui dire « C’est toi que j’aime », elle lui disait « C’est toi la musique ». » 

Dimanche 24 novembre 2019, nuit

La première lettre que j’ai reçu au bateau était une missive de mon ami Jean de Breyne. Il a pour habitude de m’écrire derrière des pages où sont imprimés ses poèmes, sûrement une façon de recycler le papier des exemplaires de relecture de ses manuscrits et d’en diffuser au gré de ses correspondances postales, intenses, tout un art de vivre avec le papier, les enveloppes, les timbres, les envois et les réceptions, tous les jours. Quand Jean m’a écrit cette première lettre, il n’avait encore aucune idée de la forme de mon nouvel habitat, il ne pouvait soupçonner que j’étais en hauteur… Et pourtant le poème qui était derrière la lettre, la première glissée dans ma boite je le répète, disait cela :   « L’extension du paysage / Est dans l’improbable / Nous pouvons perdre le chemin / Et se retrouver    là/ D’une horizontalité dans les sommets / Juste dessous le ciel / Juste avant le ciel / Qu’est-ce le ciel… »  Debout, la tête touchant presque le plaf...

Mardi 19 novembre 2019, nuit

Comme un coquillage parmi les feuillages, étrangement là , et pour combien de temps on ne sait pas le vent, un bateau sous les toits.

Samedi 16 novembre 2019, 22h30

L’enfant ce matin a construit une porte pour voir la mer. Il manquait simplement la vue… Nous l’avons trouvée, pleine de vagues et de bateaux, dans une couverture qu’il suffisait de tenir à la verticale pendant que l’autre regardait à travers la porte style portail traditionnel japonais faite avec des legos et un grand soin. Depuis hier, le chauffage a été allumé au bateau. Il faut dire que l’hiver se précise. Il a neigé sur le toit cette semaine. Aujourd’hui, j’ai acheté un chapeau en vison. Le café brûlant est en hausse de consommation sur le navire. 

Samedi 16 novembre 2019, 22 heures, choix d'épigraphes.

Je vis des jours d’une simplicité lumineuse, religieuse. (1)  Cette action poétique du temps sur lui-même, appelons-la la jouissance du temps. (2) Il faut noter que le ciel est noir comme une eau dans laquelle on s’est lavé les mains, un oiseau n’en pousse pas moins longuement sa romance à la fenêtre. (3)  Il est assez de beauté dans le fait d'être ici et nulle part ailleurs. (4)  (1)     Christiane Singer,  Derniers fragments d’un long voyage (2)     Yannick Haennel,  A mon seul désir (3)     Virginia Woolf,  Le Journal     (4) Fernando Pessoa ( Ce choix d'exergues, de ces trois citations, peut se lire comme un collage, un poème en soi fait de trois citations de trois auteurs différents. 

L'enfant construit une porte pour voir la mer.

Mardi 12 novembre 2019, 22 heures.

Dans la cage d’escalier du bateau sous les toits des bruits de pas, de paroles, résonnent. Je ne suis pas si seule. Je viens d’aller voir sur le pont : la pleine lune est cachée par les nuages. Il y a quelques minutes, il y avait quelques gouttes, presque rien. Les cœurs de mes livres sont ouverts sur le sol. Je n’ai plus de marques-pages, je lis trop de livres en même temps. Tout peut faire marque-page me direz-vous. J’aime aussi ne point les refermer, je vous répondrais. « Le livre ouvert » de Paul Eluard l’est à la page 77, au poème « Pour vivre ici ».  « Pour vivre ici / Je fis un feu / L’azur m’ayant abandonné / Un feu pour m’introduire dans la nuit d’hiver / Un feu pour vivre mieux (…) Je vécus au seul bruit des flammes crépitantes / Au seul parfum de leur chaleur / J’étais comme un bateau coulant dans l’eau fermée, / Comme un mort je n’avais qu’un unique élément. »  J’entends l’enfant dormir, sa respiration profonde ; à intervall...

Lundi 11 novembre 2019, 22heures.

Le bateau est parfois laissé accessible pour d’autres gestes suspendus que les miens, une clef cachée sous le paillasson marquée d’une ancre, des mots laissés en bord de table. Des présents sont ainsi échangés : nourritures, soupes ou livres, musiques de l’eau. Les mots écrits avant de partir ne savent pas toujours s’il y aura un visage pour les lire, si le refuge laissé tel quel sera utile pour je ne sais quel marin échoué. A mon dernier retour, j’ai trouvé dans la boite aux lettres une enveloppe bleue timbrée d’un phare. Qui dit que plusieurs personnes rêvant ensemble est le début d’une réalité ? Une réalité totalement insulaire en plein centre-ville. 

Lundi 4 novembre 2019, 22heures.

Le meilleur café est celui du soir, il recrée le matin dans le noir. Simple plaisir d’inversion, plaisir simple de confondre le jour et la nuit par un goût, une odeur, un bruit : le café montant, la vague de plaisir aussi. Les nombreuses lectures en cours sont placées en dominos sur le sol. La lecture est le jeu qui se pratique le plus souvent sur le bateau avec la pêche aux petites voitures. A l'instant, la lecture-oracle dit : « Vider l’étang pour avoir les poissons ». A qui appartient cette phrase ? Existent-ils encore sur le globe des phrases sauvages ? N'appartenant à personne ? Ce soir, l’enfant a dit en se parlant à lui-même à table : « Demain sera magique ». Je lui ai répondu : « Quoi ? Demain sera magique ? » Il m’a disputé : « Je ne parlais pas à toi. » 

Lundi 4 novembre 2019, 07:07

Samedi 2 novembre 2019, minuit.

Il est minuit, le temps respire. Me rendant pieds nus sur le pont-balcon, je sens le vent se lever. Dans le carré de ciel auquel j’ai accès, la forme d’un petit nuage blanc se distingue dans cette nuit loin d’être noire, dans cette nuit – loin.  L’horloge sous verre est toujours sur le chiffre 8 et le bateau se souvient des arbres sur la terre et de la saison de l’automne que nous sommes en train de traverser comme une mer : il y a des pommes de pins et des feuilles mortes un peu partout. 

L'éclaircie-évènement.

2/11/2019, 14h30

L'enfant aperçoit la lumière d'un phare dans le couloir.

2/11/2019, matin 

Vendredi 1er novembre 2019, 22 heures.

Au bateau, je reçois des messages venant des villes. « Le temps passe vite » est une phrase qui revient souvent dans ceux-ci, « Le temps file ». Ici, le jour et la nuit, et les saisons se succèdent d’une façon naturelle ; pas très pressée, pas très lente non plus. Avant-hier, j’écrivais, c’était le matin à l’heure du café. Aujourd’hui j’écris dans mon lit, avant de fermer les yeux. L’ordinaire. L’ordinaire commence comme l’ordre. Ici, les bougies sont allumées le jour comme la nuit, je cherche la lumière le jour comme la nuit mais je ne cherche pas du temps ; le temps est là, d’une façon naturelle ; pas très pressée, pas très lente non plus. Il y a une semaine, j’ai ramené d’une île lointaine, une horloge. J’ai décidé de mettre l’heure sur le chiffre 8.